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Grand succès

La Trilogie de la Villégiature

 

 

Dans ce chef-d’oeuvre qu’est La Trilogie de la Villégiature, grande comédie parfois si grave, mais belle et lumineuse comme le ciel de la campagne italienne en été, se glissent les ombres discrètes de la mélancolie : rien décidément ne bouge à Venise, aucune perspective de renouveau social n’est visible... On est au 18 ème siècle et Goldoni, avec une précision d’entomologiste, décrit la fin d’un monde : une aristocratie oisive qui refuse d’administrer sérieusement ses terres, une bourgeoisie qui s’épuise à l’imiter, la crise économique qui sourd et le poids de l’argent qui devient prégnant.

 

Goldoni fait le portrait satirique d’une génération en perte de repères qui se cherche. Dans La Villégiature, on parle d’amour, de réputation, du qu’en-dira-t-on, d’argent. Les valeurs « bling bling » prennent le pas. Les problèmes d’image, de paraître se cristallisent sur le thème frivole, mais très signifiant, des modes qu’il faut impérativement suivre.

 

Et si la société vénitienne que nous décrit Goldoni était la nôtre ?

 

Celle d’une Europe en perte de vitesse qui n’arrive plus à imposer un modèle jusque-là dominant. Des jeunes livrés à eux-mêmes, évoluant dans un monde aux lois interpersonnelles souvent violentes. Et qui, à l’image des personnages représentants d’une Venise sclérosée et au bord de la ruine, malgré les impossibilités matérielles de ce départ, font tous « comme si ». Des jeunes sans utopie et pour lesquels le monde de demain n’offre que peu de perspectives rayonnantes. Un monde où le « comme si » permet de trouver sa place dans une société ravagée par l’image et le paraître. Sauver la face et les apparences. Sauver coûte que coûte le vieux modèle, ne pas en montrer les failles.

Ni ses propres failles. Colmater. En perte de repères, les personnages se réfugient dans l’unique valeur sûre qu’il leur reste : l’image et la convention. Mais tout ceci, Goldoni le dénonce avec énormément de tendresse et d’humour. Valeurs sûres pour ne pas sombrer dans l’amertume ou le drame.

Carlo Goldoni:

« Plus j’allais de l’avant, plus je me trouvais confondu dans les rangs, dans les manières de vivre, dans les différentes façons de penser. Je ne savais plus ce que je voulais, ce que j’étais, ce que j’allais devenir »
 

Carlo Goldoni:

Très tôt, le jeune Carlo Goldoni, né à Venise en 1707, a été visité par la muse du théâtre. Enfant, il joue déjà avec des marionnettes, puis adolescent, il quitte le collège où sa famille l’a placé à Rimini pour suivre une troupe de comédiens ambulants, tout en achevant quand même des études de droit et en entamant une éphémère carrière d’avocat à Chioggia (ville qui lui inspirera une de ses plus belles pièces, « Barouffes à Chioggia ») Mais sa passion pour l’art dramatique emporte tout, et trois ans après la mort de son 5père, en 1734, il signe un contrat avec le théâtre San Samuele de Venise, inaugurant sa carrière d’auteur avec une tragi-comédie.Las des comédies vaines fondées sur des improvisations convenues, Goldoni affiche d’emblée son ambition de réformer le théâtre italien. Il le dépouille de ses masques et de ses personnages-types. Ainsi, il fait une description de la vie plus naturelle, il donne une vision plus véridique des rapports humains, des rapports de classes. La Trilogie de la Villégiature, jouée à Venise l’année de son départ pour la France, s’inscrit dans cette volonté de réforme théâtrale qui lui a valu de se confronter à de nombreux adversaires tels que Carlo Gozzi qui en critique le réalisme dangereux. En 1761, Goldoni accepte de composer pour la Comédie-Italienne à Paris. Ce voyage en France, il faut le voir comme un exil. Et La Trilogie, son avant dernière pièce, est empreinte de la tristesse de son auteur, sachant qu’il part pour toujours. Il meurt à Paris, deux ans plus tard, non reconnu, oublié et dans la pauvreté. Il ne reverra jamais Venise. Goldoni s’est voué au théâtre pendant un peu plus d’une décennie, parenthèse relativement courte dans une existence longue : comme si sa véritable vie était ailleurs... Où donc ?
 

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